Boda… L’hôpital
Si en juin dernier nous avions transporté une délégation venue inaugurer le nouveau marché reconstruit de Boda, cette fois la délégation que nous transportons a un mission différente.
Il s’agit de bailleurs de fonds européens, qui financent des projets dans la région. Ils viennent se rendre compte de visu de ce qui est fait de l’argent qui est consacré à ces causes. Ils ne seront pas déçus.
Nous partons à l’heure de Bangui, avec la délégation au complet. Le trajet pour Boda est court. J’ai déjà eu l’occasion de le mentionner. Arrivée, verticale, on voit que nous sommes attendus. Reconnaissance du terrain, approche, finale, atterrissage, roulage.
La délégation est reçue par les responsables des projets.
Pour ce qui nous concerne, nous sommes pris en charge par une ONG qui va nous emmener en ville pour que nous puissions attendre leur retour. Nous sécurisons l’avion : il sera gardé par les soldats de la Minusca.
Nous embarquons dans un 4x4 de l’ONG, direction la ville. On croise en chemin des maisons dont on voit qu’elles ont été détruites. Certaines furent reconstruites. Mais tout n’est pas réglé encore.
A notre arrivée à la maison de l’ONG, nous sommes reçus par Solange, qui est la responsable des ressources humaines et aussi la financière de l’ONG. Elle nous fait visiter les lieux : simples, voire sommaires, mais chacun dispose de sa chambre et il y a une cuisine et une salle commune.
Auparavant, elle était responsable de développement : en clair, travaillait pour des ONG aussi, mais dans un bureau. Pas sur le terrain. Aussi voulait-elle faire cette expérience de la réalité qu’elle ne percevait que désincarnée. La mission est de 6 mois : elle ne souhaitera pas prolonger, car l’expérience est rude. Pas pour les conditions matérielles, auxquelles on se fait finalement bien. Pas pour les conditions de sécurité qui, certes, exposent davantage qu’à Paris 7ème mais restent raisonnablement acceptables.
Non, le sujet, c’est l’émotion qui prend à la gorge me dit-elle. Toutes les larmes qu’elle a versées lorsqu’elle a ramené, plusieurs heures durant dans ses bras un enfant comateux. Imaginant, à travers cet enfant son propre fils… Et ainsi de suite…
Pendant le tour de la maison, nous discutons avec les cuisinières, qui préparent le déjeuner.
Puis, nous sommes invités à visiter l’hôpital que gère cette ONG.
Solange nous explique le parcours de santé des patients, qui arrivent dans la cour, puis sont reçus pour un premier examen rapide, qui va permettre de trier l’urgence du non-urgent, et d’orienter vers les soins appropriés.
Aujourd’hui samedi, finalement il y a peu de patients… Nous dit-elle, car nous ne dirions pas cela dans les circonstances que nous connaissons ordinairement : l’affluence serait considérée comme normale.
Non, le lundi, la cour est bondée de personnes qui viennent consulter pour elles-mêmes ou les enfants.
Après le premier examen, nous passons aux consultations simples, avec une prise en charge adaptée à la pathologie, et toujours avec la préoccupation de remettre au plus vite les patients debout. Il y a tellement de besoins en attente…
Les consultations sont scindées en deux : adultes et enfants. Beaucoup d’enfants ici…
La visite se poursuit par les urgences. Un homme vient d’arriver, et est pris en charge. Amaigri et très fiévreux, il est à peine conscient. Pour venir, il a voyagé plusieurs heures. L’équipe médicale l’a pris en charge et lui a administré les premiers soins. Puis le mettra sous observation si, comme ils l’espèrent, il répond bien au traitement.
Ensuite, nous visitons la chirurgie. Nous sommes reçus par le chirurgien, qui nous explique pratiquer ici une chirurgie d’urgence : césariennes, hernies (souvent graves), accidents, lorsque cela est possible, réparation de fente palatine, etc… Il nous montre la façon dont les instruments sont stérilisés, avec une méthode et du matériel de conception très ancienne (plus d’un siècle) mais finalement assez adaptés aux conditions du lieu. De trente à quarante opérations dans la semaine… Pas vraiment d’horaire, évidemment.
La visite de la pédiatrie sera très rude émotionnellement. Trop peu de lits. Beaucoup de ces lits sont occupés par 4 enfants. Avec les mères qui sont ici aussi. Des enfants qui souffrent et que les mères ont amené parfois de très loin, bien entendu alors que l’enfant souffrait déjà beaucoup.
Souvent soignés dans l’indigénat avec des médecines pas toujours adaptées.
Beaucoup de cas de paludisme avancé. Le paludisme ici en Centrafrique est évidemment non seulement très courant, mais d’une forme particulièrement grave de paludisme neurologique. Mais aussi beaucoup de malnutrition, en raison de l’incapacité des si jeunes mamans à nourrir le dernier qui n’est évidemment pas le premier. Malnutrition et son cortège de suites infectieuses sur un corps tellement fragilisé et déjà meurtri.
La méningite, avec plusieurs formes, est aussi extrêmement répandue dans la région. Sur un lit, un enfant sous assistance en oxygène, atteint de méningite.
Nous discutons avec les soignants, en essayant d'éviter bien entendu de gêner. Voyeurisme ? La question se pose à moi. Les soignants nous invitent à témoigner et nous disent qu’il faut faire connaître ce qui se fait ici. Qu’ils ont besoin de faire savoir. Sans être journalistes, nous portons leur message que ces lignes essaient de transcrire.
Franchement, le travail au quotidien ici est admirable de dévouement. On est tellement loin du « docteur caméra » qui a fait une si belle carrière politique.
Passage par la maternité. Ici, les mamans sont souvent très, trop jeunes. A 20 ans, une jeune femme peut en être à son quatrième enfant. Les sages-femmes sont accueillantes et rieuses. Elles nous disent profiter du passage des mamans par la maternité pour promouvoir et distribuer la contraception : pilule, implant qui dure 5 ans, stérilet, préservatif masculin ou féminin. La contraception est mieux comprise et acceptée par les femmes…
Nous visitons la pharmacie, très bien organisée et tenue. Gestion très professionnelle des médicaments, et coordination notamment avec la chirurgie, dont la capacité à opérer dépend entièrement de l’approvisionnement en médicaments et ustensiles.
Nous éviterons la tente dite de quarantaine, où sont hospitalisées des personnes souvent en phase terminale… L’espérance de vie en RCA est de l’ordre de 54 ans (mon avis sur la longévité n’est pas très orthodoxe ; Evariste Gallois, mort à 22 ans, a davantage laissé à la postérité que Fidel, par exemple …) : cet indicateur est simplement assez représentatif de l’état sanitaire du pays.
Il y a un côté révoltant de savoir qu’il suffit de 1,8 M€ annuellement pour faire tourner cet hôpital et ses trois antennes dans la région, tandis que des milliards sont dépensés en pure perte.
Retour à la maison de l’ONG, puis nous partons préparer l’avion pour le retour, sans prendre le déjeuner. Ni l’un ni l’autre n’avons d’appétit…
On se remet au travail dans des procédures d’aviation rassurantes presque apaisantes.
L’équipe revient. Séance photos. Echange de coordonnées.
Nous embarquons, retour sur Bangui facile et paisible. Atterrissage, roulage, parking.
La tête et le cœur chamboulés.